Le massif du Saint-Gothard se compose de différentes couches meubles ou rocheuses. Une évaluation géologique du massif est essentielle avant tout projet d’ouvrage. Alessio Menegatti, le géologue des maîtres d’ouvrage, explique dans une interview comment les conclusions de son équipe influencent la construction du second tube du Saint-Gothard.
Monsieur Menegatti, à quels défis géologiques sommes-nous confrontés pour la construction du second tube du tunnel routier du Saint-Gothard ?
Grâce au premier tube du tunnel routier du Saint-Gothard, la géologie est déjà assez bien connue le long du tracé du tunnel. Les deux grandes zones de perturbations « connues » au nord et au sud constituent certainement le principal défi à cet égard. La documentation relative à la construction du premier tunnel routier et de la galerie de service et d’infrastructure fait état d’environ 400 failles et zones de perturbations dont l’ampleur varie de quelques décimètres à plusieurs dizaines de mètres. Bon nombre d’entre elles ne sont toutefois pas ou peu contraignantes du point de vue de la construction.
La plus grande « surprise » à ce jour est la complexité des spécificités géologiques à l’extérieur du tunnel près de Göschenen et d’Airolo. En effet, la situation géologique en surface avait été peu étudiée jusqu’à récemment. Si les alentours des deux portails du tunnel se caractérisent par des conditions hétérogènes, cela s’explique tant par des phénomènes naturels que par l’action humaine : érosion glaciaire, éboulements, chutes de blocs rocheux, coulées de boue, mais aussi matériaux d’excavation issus du tunnel ferroviaire du Saint-Gothard et du premier tube du tunnel routier. Au cours des deux dernières années, l’équipe de géologues a donc non seulement évalué les caractéristiques souterraines du massif montagneux, mais aussi élaboré des projections pour les travaux extérieurs en vue de la réalisation du second tube du Saint-Gothard. Cela a permis de sécuriser et de dimensionner les chantiers et les fondations des ouvrages en conséquence.
Comment avez-vous procédé avec votre équipe ?
Nous avons analysé de nombreux documents historiques, tels que des cartes géologiques, des photographies et des rapports antérieurs sur le sous-sol, ainsi que les conclusions des phases précédentes du projet. Bien que les documents de l’époque n’existent qu’au format analogique, les relevés réalisés pour le premier tube se sont avérés très utiles pour la planification. Nous avons par ailleurs examiné le sous-sol à l’extérieur du tunnel au moyen de carottages et de puits d’exploration réalisés à l’excavatrice. Cela a permis de faire des estimations sur l’état de la sur-face rocheuse, sur la résistance et la stabilité des roches meubles ou encore sur la présence d’eau. Différents spécialistes ont été sollicités à cet effet : des ingénieurs géologues, des hydrogéologues, des géotechniciens, des techniciens de mesure, des spécialistes des risques naturels et des sites contaminés, ainsi que des dessinateurs en génie civil. De nouveaux sondages devront être effectués lors de la phase de réalisation. En effet, les forages de sondage ne sont que des « piqûres d’épingle » dans le sous-sol, ne permettant pas d’exclure des divergences locales ou d’autres imprévus.
Des retards dus à des « imprévus géologiques » sont-ils donc inévitables ?
Le planning de construction et la cadence de progression sont basés sur les connaissances disponibles concernant la nature et les caractéristiques du massif montagneux. Les méthodes de construction retenues constituent une variante optimale en termes de sécurité, de rentabilité et de possibilités techniques actuelles. Si les conditions de construction se révèlent différentes de celles prévues, il faut pouvoir y réagir avec souplesse. Cela peut engendrer des retards.
Quelles sont les méthodes d’avancement utilisées ?
Fondamentalement, trois méthodes de percement sont utilisées : dans les roches meubles, l’avancement à la machine assorti de mesures complémentaires (p. ex. le jet grouting) ; dans les roches dures, l’avancement à la machine et à l’explosif, ainsi que l’avancement au tunnelier qui représente la majeure partie des opérations. Lors de la construction de la galerie de service et d’infrastructure, celles et ceux qui nous ont précédés s’étaient déjà cassé les dents sur les deux grandes zones de perturbations au nord et au sud : il a fallu un an pour percer ces zones de perturbations de quelque 300 mètres de long chacune. C’est pourquoi, à Göschenen et Airolo, une galerie d’accès aux zones de perturbations respectives est actuellement en construction, afin que celles-ci puissent être excavées et sécurisées de façon anticipée. En effet, le percement du tunnel principal au tunnelier serait techniquement très difficile dans ces zones et impliquerait des dépenses excessives.
Vous accompagnez le projet en tant que conseiller jusqu’à la mise en service du second tube. Qu’appréciez-vous tout particulièrement dans ce travail ?
Chaque tunnel a son histoire. Le matériau de construction est une roche à l’état brut, un massif montagneux régi par ses propres lois naturelles. Cela me fascine depuis des années. Et puis il y a la collaboration au sein d’une excellente équipe de géologues et les échanges passionnants avec les spécialistes d’autres disciplines. Enfin, il y a un aspect personnel : en tant que natif du Tessin ayant un bureau à Altdorf, je suis très attaché à la région du Saint-Gothard. À ce titre, je ne pourrais pas imaginer de plus beau projet.